• La crucifixion (thème VIE ou"Dieu.")

                                                           Bernard DIMEY (poème)

    Tu viens c’t’ après-midi à la crucifixion ?
    T’as qu’à v’nir avec moi, ça t’chang’ra les idées !
    Ta bergère est pas là, profit’de l’occasion
    Moi j’ai prév’nu Lévy que j ’prenais ma journée
    J’y ai dit « j’veux voir ça, et pis j’ai mes raisons ! »
    Il a pas pu r’fuser vu qu’il y va, cézigue !
    Ça va ram ’ner du monde et marquer la saison
    C’ t’affair’là, tu vas voir, mais le truc qui m’intrigue
    C’est qu’sur les trois clients qu’ils vont foutre au séchoir
    Y en a deux, paraît-il, qu’on a dû bien connaître
    Ils nous ont fait marron sur un coup d’marché noir
    On ira les r’garder, ça les amus’ra p’t’être

    Quand on avait l’tuyau pour les surplus romains
    J’avais tout préparé, tout mâché la besogne,
    On était cinq su’l’coup, vraiment du cousu-main !
    Quand ils nous ont doublé, on a passé la pogne
    Mais j’dois dire qu’aujourd’hui, je vais bien rigoler
    Comm’quoî, mon vieux cochon, y a tout d’même un’justice
    Comm’disait mon vieux père : « Faut pas tuer ni voler à moins
    D’être certain que le coup réussisse ! »

    Le troisième, il paraît qu’il marche à la gamberge
    Il jacte à droite à gauche, on l’a vu v’nir de loin
    Il est pas vieux du tout, il n’a pas trente-cinq berges
    On n’sait pas bien qui c’est, c’est pas un gars du coin
    C’est un genr’de r’bouteux, il guérit les malades
    Ça fait trois ans, guèr’plus, qu’il est sur le trimard
    N’empêch’que le Pilate et ses p’tits camarades
    L’ont prié d’obéir et d’arrêter son char
    Comm’disait mon vieux père : « La poisse, elle vient tout’seule
    Mais plus tu veux jacter, plus qu’ell’vient rapid’ment
    C’est un’bell’qualité d’savoir fermer sa gueule »
    Mon père, pour un ivrogne, il n’manquait pas d’jug’ment !

    D’ailleurs, en fait d’jug’ment, c’est par là qu’ça commence
    Si tu veux v’nir, tu viens… Moi j’veux pas m foutr’en r’tard
    Tu viens pas… Moi j’m’en vais… J’te dirai c’que j’en pense !
    J’pass’rai pour l’apéro, à sept heures, au plus tard.

    II

    Ça y est, me v’la r’venu, j’en ai les jamb’coupées
    J’ai vu assez d’salauds pour le restant d’mes jours
    Et c’est l’genr’d’histoir’ qui s’ra vite étouffée
    T’en entendras causer, crois-moi, pis mêm’les sourds

    D’abord le tribunal, une vraie rigolade !
    Les carott’ étaient cuites, archi-cuites au début
    Le Pilate s’en foutait, mais les p’tits camarades
    Ça gueulait maximum, aussi fort qu’ils ont pu
    Le mec, il était là, il a pas dit grand-chose
    Et pis j’étais trop loin ; j’ai pas bien entendu
    Tout l’mond’braillaît là-d’dans, mais pour plaider sa cause
    Y a personn’qu’à moufté… Ni l’avocat non plus…
    D’ailleurs, y en n’avait pas ! C’était la mascarade !
    Et j’suis sûr que le gars il est blanc comm’l’agneau
    Tu peux dir’que l’Pîlate et ses p’tits camarades
    Ça fait avec nous autres un’bell’band’de salauds
    On a beau êtr’voyou, viv’comm’des malhonnêtes
    Y a tout d’mêm’des machins qui vous fout’le bourdon…
    Tout était combiné, mêm’Ja croix qu’était prête
    Et quand on vous y colle on sait qu’c’est pour de bon…
    Et pis la croix maint’nant c’est toi qui t’la coltines
    C’est nouveau, j’te préviens, si ça t’arrive un jour
    Tout seul et ça su’l’dos jusqu’en haut d’la colline.
    Il s’est juste arrêté pour faire un p’tit discours,
    Il s’trouvait juste en face d’un ramassis d’bonn’femmes
    Qui chialaient comm’des veaux, faut dir’qu’y avait d’quoi,
    Il leur a dit comm’ça « pour le salut d’vos âmes
    il vaudrait mieux pleurer sur vous-mêmes que sur moi ! »

    Sa vieille elle était là, la pauv’mémère, tout’seule
    Y aurait pas eu un mec pour y donner la main,
    Surtout quand son fiston il s’est cassé la gueule !
    Trois fois d’suite sous les coups d’ces enfoirés d’romains !
    Moi, ça m’a foutu l’noir, pourtant j’suis pas sensible
    Ça m’a tout barbouillé, j’en suis cœur sur carreau !
    Faut dir’que l’populo c’est vraiment des horribles
    Ils sont pour la plupart plus fumiers qu’les bourreaux…

    Bref, je n’suis pas r’venu pour gâcher la soirée…
    Ils l’ont cloué là-d’ssus et tout l’monde est parti…
    Moi j’en suis lessivé, tu parles d’une journée…
    Et tout l’monde est pareil… et pis c’est pas fini

    Les deux autres ? Ah ben oui, pardonn’moi si j’t’excuse
    Hé ben j’les ai pas vus, j’y ai mêm’plus pensé !
    Ils sont toujours là-haut, vas-y si ça t’amuse
    Pour moi ça va comm’ça, j’en ai vu bien assez !
    Paulo, tu m’connais bien, tu sais qu’les innocents
    Je m’en fous complèt’ment, seul’ment pour le quart d’heure
    Je dois dir’que c’que j’ai vu, ça m’a tourné les sangs
    Un mot que j’dis jamais, Paulo…, ça m’a fait peur !


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